mercredi 11 octobre 2023

Analyse "La madeleine" de Proust

 

Introduction

    Proust est né en 1871 dans une famille très aisée. Il consacre sa jeunesse aux mondanités des salons parisiens. Sa mère meurt en 1905, ce qui correspond au début de ses ennuis de santé et à la fin d’une période insouciante. Il vit reclus chez lui. Il passe tout son temps à une oeuvre unique et monumentale : A la recherche du temps perdu pour laquelle il reçoit le prix Goncourt pour un fragment « à l’ombre des jeunes filles en fleurs » en 1915. Il est surtout reconnu après sa mort.

    Dans la première partie de A la recherche du temps perdu (« Du côté de chez Swann »), il raconte le drame de son coucher qui l’obsède. Cet épisode la petite Madeleine lui permet d’évoquer toute son enfance. La question posée dans ce texte n’est résolue qu’à la fin de l’oeuvre. C’est un texte essentiel qui constitue la matrice de A la recherche du temps perdu et plus particulièrement le déclencheur du récit d’enfance. Ce passage a subit de nombreuses modifications, des changements de place. C’est donc un souvenir construit, élaboré pour les besoins d’une démonstration.

Problématique : à la fois énigme et clé de l’œuvre, ce passage prétend traiter de la mémoire involontaire, mais n’est-il pas avant tout un exemple de représentation (construction, interprétation) donc de création ?

Notre analyse suivra l'ordre du texte :


I. Une expérience involontaire

1. Effacement involontaire de l’enfance dans la mémoire

- Eloignement dans le temps (présentatifs « voici que »… + pluriel « bien des années » + imparfait duratif)
- Caractère vague du souvenir indéfini (caractère flou enfance)
- Souvenir qui s’efface (narrateur focalisé sur coucher -> drame qui occulte le reste enfance).

2. Régression du narrateur

- Rupture temporelle.
- Retour inconscient à l’enfance (passivité enfant -> préalable à l’affleurement conscient du souvenir d’enfant).

3. Le hasard : concours mystérieux de circonstances favorables ?

- Une action non préméditée.
- Malaise du narrateur au moment où il fait son expérience (froid physique et moral -> poids).
- Un petit morceau permet d’évoquer l’édifice immense du souvenir.

Transition : « Mais » introduit une rupture entre l’évocation de ses circonstances et l’extase du souvenir. Opposition entre un état malheureux et ce bonheur suprême.


II. Extase du souvenir (expérience extraordinaire)

1. Une expérience magique

- Immédiateté – instantanéité (-> passé révolu et éphémère).
- Extrême plaisir (vocabulaire extrêmement mélioratif).
- Expérience quasi mystique (qui transcende le narrateur).

2. Dépassement de la contingence : expérience de l’éternité

- Résurrection (« de ce qui était mort pour moi » -> impression de plénitude).
- Révélation du moi (-> attributs COD, sujet… + un moi profond, immortel révélé).
- Lyrisme : rythme ternaire….

3. Effort de l’esprit : une pensée qui n’est pas en retrait

- Sensation gustative (détaillée, mise en avant = symbole, liée à une signification supérieure).
- Effort intellectuel (« attentif », analyse, précision de l’évocation).
- Enigme (recherche d’un sens -> triple question).

Transition : Difficulté de la quête.


III. Difficulté de l’entreprise autobiographique

1. Expérience existentielle

- Présent (énonciation et vérité générale) -> la quête du souvenir se confond avec l’expérience universelle de la création littéraire. Le souvenir et l’écriture se confondent.
- Plongée dans les profondeurs du moi (peut-être rapport analogique entre tasse et esprit + faire ressurgir l’inconscient -> métaphore du passage de l’obscurité à la lumière).

2. Recherche intellectuelle

- Désir de maîtrise (tournure impersonnelle, phrases complexes -> difficulté + désir lucidité)
- L’auteur devient acteur « Je » n’est plus spectateur + désir maîtrise
- Echec de l’expérience programmée (dégradation de la sensation)
Pause narrative, qui débouche sur une pause spirituelle, méditative.

3. Expérience spirituelle et esthétique

- Métaphore de la création qui termine le texte « Mon esprit » devient complément -> esprit se cherche, esprit sujet et objet
- Difficulté soulignée par question + disparition syntaxe
- Exigence de la création : « chercher ? pas seulement : créer »

Conclusion

     Cet extrait de Du côté de chez Swann suscite des interprétations multiples. Extase à la fois sensuel, mystique et esthétique. Souvenir de Combray et de toute la recherche, cet épisode nous montre le narrateur pressentir sa signification spirituelle sans pouvoir décrypter encore cette sensation extrême. Les enjeux esthétiques de la recherche sont dévoilés, l’autobiographie est explicitement reliée à la démarche de création qui est celle de l’écrivain.

 

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 « la madeleine », Marcel Proust

Comment le souvenir peut-il ressurgir de façon impromptue ? C’est ce que Marcel Proust met en scène dans ce célèbre passage de la Recherche du temps perdu. Il évoque un événement, somme toute, banal : la dégustation d’une madeleine trempée dans une tasse de thé. Pourtant, lorsque ce petit morceau de biscuit se pose sur le palais du narrateur, un sentiment indicible l’envahit. Ses sens s’éveillent et un fragment de son enfance lui revient en mémoire.

Ainsi, nous nous demanderons comment l’auteur met-il en scène le souvenir ? En quoi l’évocation des sens permet-elle de rendre compte du souvenir ?

I/ L’exaltation des sens, permise par la madeleine

a/ La vue

Le premier contact avec la madeleine se fait grâce à la vue, dans cet extrait. La mère du narrateur commande le biscuit qui est désigné par une périphrase : « un de ces gâteaux courts et dodus » (l 3). La comparaison : « qui semblent avoir été moulés dans la valve rainurée d’une coquille de Saint-Jacques » (l 4) indique que Marcel a eu le temps de l’observer avant de le porter à ses lèvres. Il a imaginé, déjà, le pouvoir d’évasion du gâteau puisqu’il l’associe à un univers maritime, bien éloigné de celui de la pâtisserie. Pourtant, le souvenir du narrateur n’est pas véritablement lié à la vue du biscuit. Il le reconnaît lui-même : « La vue de la petite madeleine ne m’avait rien rappelé « (l 18) Cependant, sa dégustation affole sa vision. L’adverbe « tout d’un coup » précédé de la conjonction de coordination « et » ainsi que le verbe de sensation : « apercevoir » révèlent que la mémoire crée des images qui s’imposent à Marcel : « Et tout d’un coup le souvenir m’est apparu. » (l 15).

b/ Le goût et l’odorat

Néanmoins, pour que le souvenir prenne forme, devienne visible, il est primordial que les sens du goût et de l’odorat soient sollicités, soient mis en éveil. Car oui, tout part de là : du goût et du mariage du thé et de la madeleine sur le palais du narrateur : « je portai à mes lèvres une cuillerée du thé où j’avais laissé s’amollir un morceau de madeleine. (l 5-6) » Le thé seul n’aurait pas permis la résurgence du souvenir, la madeleine dégustée comme telle non plus, c’est bel et bien l’alliance du solide et du liquide qui produit un goût singulier. Nous pouvons être sensibles aux termes mélioratifs, aux modalisateurs qui sont utilisés pour rendre compte des sensations du narrateur : « extraordinaire », « plaisir délicieux » (l 8), « essence précieuse » (l 10). Le goût ramène le narrateur au souvenir de l’enfance. La façon dont il évoque la madeleine est pleine d’empathie : « Ce goût c’était celui d’un petit morceau de madeleine » (l 15-16), empathie mise en exergue par l’allitération en (s). En outre, l’anaphore de « plus » et le comparatif de supériorité : « seules, plus frêles mais plus vivaces, plus immatérielles, plus persistantes, plus fidèles, l’odeur et la saveur restent encore longtemps » (l 23-24) révèlent la toute-puissance de l’odorat et du goût qui paraissent demeurer, enfouies, dans notre mémoire. La comparaison : « comme des âmes » donne corps à ces deux sens qui se voient personnifiés. La suite de la phrase : « à se rappeler, à attendre, à espérer, sur la ruine de tout le reste, à porter sans fléchir, sur leur gouttelette presque impalpable, l’édifice immense du souvenir » est une véritable célébration de la longévité de l’odeur et de la saveur. Effectivement, cette longue énumération se caractérise, en premier lieu, par une anaphore en « à » qui met en exergue le travail de la mémoire. De plus, le champ lexical du souvenir : « se rappeler », « attendre », « espérer » (l 25) présente le pouvoir des sens du goût et de l’odorat qui se trouve contenu dans une « gouttelette presque impalpable » et qui offre, pourtant, l’antiphrase est frappante, « l’édifice immense du souvenir ». (l 26)

II/ La résurgence du souvenir d’enfance
a/ Les décors et les habitudes de la jeunesse

Une fois madeleine et thé déposés sur son palais, le narrateur se souvient de son enfance et, tout d’abord, des choses qu’il avait l’habitude de faire. L’imparfait à valeur d’habitude est utilisé à plusieurs reprises : « j’allais », « m’offrait » (l 17), « donnait » (l 27) et montre ce rituel établi entre Marcel et sa tante ; tout comme les compléments circonstanciels de temps révélateurs des coutumes des dimanches passés à Combray : « le dimanche matin » (l 16), « avant l’heure de la messe » (l 16-17) Les périphrases : « la vieille maison grise sur la rue » (l 29), « petit pavillon, donnant sur le jardin » (l 30) évoquent la demeure de l’enfance. Et avec cette maison, apparaît Combray tout entier. En effet, le souvenir s’agrandit, se déploie et embrasse le texte : « et avec la maison,  la ville, depuis le matin jusqu’au soir et par tous les temps, j’allais faire des courses, les chemins qu’on prenait si le temps était beau. » (l 31-32) Les idées se multiplient et se mêlent : l’espace est évoqué : « la maison, la ville » le temps : « depuis le matin jusqu’au soir et par tous les temps » et à nouveau l’espace : «  les chemins qu’on prenait » indiquant que le travail de la mémoire s’est mis en place.

b/ De la mort du souvenir à sa renaissance

Lorsque le sens du goût est sollicité, Marcel ressent une émotion intense et immédiate : « je tressaillis » (l 7) mais inqualifiable, tout d’abord, parce que le souvenir est trop profondément enfoui, presque mort : « sans la notion de sa cause » (l 8) Pourtant,  le sentiment qui gagne le narrateur est d’une puissance incroyable. Nous pouvons penser qu’après cet épisode, il ne sera plus jamais le même homme. Le plaisir éprouvé, en effet, modifie son regard sur l’existence en témoigne l’énumération : « Il m’avait aussitôt rendu les vicissitudes de la vie indifférentes, ses désastres inoffensifs, sa brièveté illusoire » (l 9-10) Le souvenir, bien qu’imprécis, va même jusqu’à bouleverser indéniablement son être comme le montre le rythme ternaire : « J’avais cessé de me sentir médiocre, contingent, mortel. » Quel est ce souvenir ? Le narrateur à l’image du lecteur l’ignore encore mais il est évident qu’il a une force telle qu’il fait corps avec Marcel jusqu’à devenir Marcel : « cette essence n’était pas en moi, elle était moi » (l 10-11) Le narrateur personnage met en évidence la fragilité de la mémoire, le fait que de nouveaux souvenirs ont remplacé les anciens dans son  esprit et donc qu’il est difficile d’associer la madeleine à un instant de son enfance : « leur image avait quitté ces jours de Combray pour se lier à d’autres plus récents » (l 20-21) Le constat de Marcel sonne avec amertume dans le rythme binaire suivant : « rien ne survivait, tout s’était désagrégé. » Cependant, le souvenir ressurgit. La comparaison : « vint comme un décor de théâtre » (l 30) suggère que les images enfouies dans l’esprit de Marcel prennent forme comme un livre en 3 dimensions que l’on ouvrirait lentement, elles se déploient, elles deviennent concrètes, visuelles, réelles. De la même manière que les techniciens mettant en place un à un, les accessoires, le décor d’une pièce de théâtre, le narrateur parvient à remobiliser chaque souvenir perdu de sa mémoire. C’est véritablement dans les dernières lignes de notre extrait que fleurit le souvenir. L’évocation du jeu japonais est l’occasion d’une métaphore des plus intéressantes. Les petits morceaux de papiers trempés dans l’eau représentent les fragments de la mémoire. Au contact du liquide, ils reprennent vie. La gradation : « s’étirent, se contournent, se colorent, se différencient, deviennent des fleurs, des maisons, des personnages consistants et reconnaissables » (l 34-35-36) traduit, à la perfection, ce travail de la mémoire qui impose à notre regard le décor du souvenir. Comme les petits morceaux de papier mais également comme une fleur de thé, Combray, tel un bourgeon protégé par des feuilles tressées, éclot lors de l’infusion de la mémoire.  Celle-ci fait jaillir les personnages, les fleurs et la ville : « toutes les fleurs de notre jardin et celle du parc de M. Swann, et les nymphéas de la Vivonne, et les bonnes gens du village et leurs petits logis et l’église et tout Combray et ses environ. » (l 36-37-38) Ce qui appartient au domaine du souvenir et donc de l’impalpable devient palpable. La tasse de thé n’est autre que la métaphore de la mémoire et le souvenir s’extirpe de la tasse comme il s’extrait de la mémoire de Marcel : « tout cela qui prend forme et solidité, est sorti, ville et jardins, de ma tasse de thé » (l 39)

Marcel Proust attribue, dans cet extrait, un pouvoir inouï aux sens du goût et de l’odorat, capables de faire resurgir des souvenirs oubliés. Il parvient à expliquer ce travail complexe et fabuleux de la mémoire. C’est également le sens de l’odorat que célèbre Jean-Baptiste Grenouille dans Le Parfum mais la célébration se fait funeste puisque c’est cette fascination pour l’olfaction qui va pousser le personnage à commettre des meurtres.

 


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